Peer-to-peer, la fin d’un protocole ?

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“Quelle est la prochaine étape pour Napster ? Comment Shawn Fanning, 19 ans, a bouleversé la musique… et beaucoup plus”, titre le Time en octobre 2000. L’article du magazine décrit l’histoire du service musical Napster comme l’irrésistible ascension de cet étudiant de l’université de Boston, qui travaille près de seize heures par jour à son logiciel, bientôt utilisé par des millions d’internautes.

Pourtant, la success story tourne court. A son zénith, le pionnier des logiciels de P2P a compté entre 40 et 50 millions d’usagers. Mais le logiciel de partage, fondé en mai 1999 par Shawn Fanning et Shawn Parker, se heurte, quelques mois plus tard, en septembre 2001, aux ayants droit. La Recording Industry Association of America (RIAA), l’équivalent américain de la Sacem, demande 20 milliards de dollars (14,4 milliards d’euros) de dommages et intérêts… Elle n’en obtiendra finalement que le centième, après un accord à l’amiable. Mais Napster n’a pas tout perdu. En 2008, le service est racheté, au prix fort (121 millions de dollars, soit 87 millions d’euros), par le groupe de distribution Bestbuy. Napster est désormais un service légal de musique.

Ses successeurs Limewire ou Kazaa, qui font appel à des technologies plus décentralisées, ont connu des fortunes diverses (voir l’infographie) depuis le milieu des années 2000. Mais, dans la plupart des cas, la bataille judiciaire a tourné à leur désavantage. A la fin de 2007, le client Limewire était présent sur un tiers des PC dans le monde. Mais, également attaquée en justice par la RIAA, l’entreprise du même nom a dû cesser ses activités, au terme d’une longue procédure. A la fin de novembre, la justice suédoise a confirmé en appel les peines de prison ferme infligées aux fondateurs de l’annuaire de fichiers pair-à-pair The Pirate Bay.

Kazaa a, pour sa part, dû verser 115 millions de dollars aux ayants droit musicaux. Comme Napster, l’ancienne gloire du téléchargement en P2P s’est muée en service de musique légal, uniquement disponible aux Etats-Unis. Pas BitTorrent, leur principal successeur. “Napster et Kazaa ont œuvré pour devenir des entreprises de médias. BitTorrent est, pour sa part, une entreprise de technologies”, explique au Monde.fr Bram Cohen de BitTorrent, un service qui revendique plus de 100 millions d’utilisateurs mensuels.

En France, le procès d’Emule Paradise, dont le créateur est accusé d’avoir permis le téléchargement de plus de 7 000 films entre 2005 et 2006, a été renvoyé à l’instruction, à la fin du mois de janvier. Mais le site, qui d’après les enquêteurs générait d’importants revenus, reste fermé. “Plus de 90 % des contenus sur ces réseaux de partage circulent sans l’autorisation des ayants droit. Un business model basé la-dessus est compromis”, souligne Patrick Waelbroeck, enseignant-chercheur à Telecom ParisTech et spécialiste du téléchargement illégal.

 

UN PROTOCOLE MENACÉ PAR LE STREAMING

Ces procès à répétition, ainsi que la mise en place de dispositifs comme Hadopi, amorcent-ils le déclin du protocole P2P ? “Des technologies comme BitTorrent n’ont pas de business model, ce sont des technologies qui ont finalement un coût assez faible de fonctionnement et peuvent donc survivre avec très peu de moyens”, poursuit M. Waelbroeck. Toutefois, les services de P2P doivent faire face à une concurrence de plus en plus accrue des sites de téléchargement direct (direct download) comme MegaUpload ou RapidShare, ou de musique en diffusion directe ou streaming.

Selon une enquête pour la Hadopi (.pdf) menée auprès de 2 échantillons représentatifs et présentée en janvier, 25 % des internautes français sondés utilisent le P2P, 25 % le direct download et 54 % le streaming pour consommer gratuitement des produits culturels sur Internet. “La loi Hadopi a changé le comportement des internautes. La part du P2P est stable depuis plusieurs années, mais l’utilisation du direct download et du streaming – payant ou non – explose”, analyse le chercheur.

Mais, pour Bram Cohen de BitTorrent, les sites de téléchargement direct sont loin de faire de l’ombre au peer-to-peer. “Quand on télécharge directement depuis une source unique, on dépend inexorablement du débit de cette source originale”, note-t-il. Ces sites peuvent donc faire l’objet de mesures de filtrage ou de bridage.

Au final, “les internautes semblent peu disposés à payer pour la musique en ligne. D’un autre côté, on voit des services payants comme iTunes d’Apple, Fnac, Virgin, Amazon vendre des titres. Les deux modèles coexistent, mais il ne faut pas croire que tout le monde se tournera systématiquement vers l’offre légale si l’on arrête le peer-to-peer”, conclut Patrick Waelbroeck.

 

DE NOUVELLES PERSPECTIVES POUR LE P2P

Le P2P ne se limite pas non plus aux échanges de fichiers illégaux sur PC. Au-delà de ses applications légales dans la diffusion de fichiers, cette technologie pourrait fournir des services utiles dans d’autres domaines, y compris dans les connexions à bas débit (voir cet article). Mais le succès de ce protocole sur des plates-formes mobiles comme les smartphones demeure incertain. “Le P2P n’est pas un enjeu stratégique sur les mobiles, car le débit est encore trop faible. Son utilisation pour le streaming est, par contre, prometteuse, avec le développement du haut débit et des réseaux Wi-Fi ouverts”, note M. Waelbroeck.

Bram Cohen compte justement présenter cette année Pheon, un système dont l’objectif est d’appliquer le P2P au streaming. Peter Sunde, cofondateur de The Pirate Bay, souhaite aussi utiliser cette technologie pour créer une alternative au système DNS, qui gère la manière dont les informations sont “orientées” sur Internet. “Nous voulons attirer l’attention des gens sur le fait que la structure actuelle d’Internet, avec quelques nœuds centraux – les serveurs racines et les domaines de premier niveau .com, .net et .org, par exemple – est dangereuse et peut facilement être bloquée par quelqu’un”, fait valoir M. Sunde.

Très consommateur de bande passante, support de partage illégal de fichiers, le P2P a fréquemment été montré du doigt. “Le trafic P2P a souvent été considéré comme un fardeau de l’Internet”, concède Bram Cohen, qui travaille à une nouvelle version de son protocole, plus respectueuse des réseaux. “Avec un protocole P2P comme µTorrent Transport Protocol, nous pouvons améliorer la performance du Réseau tout entier”, conclut le créateur de BitTorrent.

 

Source : Le Monde, Laurent Checola