Comment des escrocs béninois profitent des clichés sur l’Afrique

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Dieudonné Sedjro Eclou, sociologue exerçant à Cotonou (Bénin), montre en quoi les clichés sur les Africains constituent un terrain fertile à l’éclosion de la cybercriminalité.

Depuis deux à trois ans, on remarque que certains internautes fréquentent les cybercafés à longueur de journée dans le but de faire de l’arnaque en ligne. Quelle analyse pouvez-vous en faire ?

Je ne connais pas les proportions de l’arnaque en ligne, pour dire qu’effectivement, elle connait une recrudescence. Mais il est aisé de remarquer que, l’internet fait partie des moyens qui ont permis de banaliser l’arnaque, l’escroquerie en général, pour en donner des proportions et des formes qu’on ne connaissait pas avant. L’arnaque en ligne est donc à la portée, aussi bien des jeunes que des adultes. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic) sont symptomatiques de la situation que vivent le Bénin et plus globalement les pays en voie de développement ou du Sud par rapport à l’internet. Ce sont là des moyens de communication sur lesquels nous n’avons ni prise ni contrôle. Malheureusement, on n’a pas le choix, on est obligé de les utiliser. Embarqués dans une dynamique, nous avons du mal à contrôler et à endiguer certains aspects négatifs qui en découlent.

Et parmi ces arnaqueurs, il y a des élèves et étudiants entre autres…

Ils sont, non pas à raison, mais de façon justifiée des arnaqueurs. Nous sommes dans un environnement majoritairement analphabète. Il ne faut pas donc s’attendre à ce que ce soit, la personne qui n’a jamais été à l’école qui soit nécessairement l’arnaqueur sur internet. Il est nécessaire d’avoir un minimum de pré-requis et d’être habitué à l’usage de l’Internet. De ce point de vue, cette forme de déviance, malheureusement, est réservée à une classe.

Arnaque sur le web : un député suisse séquestré

Un parlementaire suisse, Gabriel Poncet, victime d’une cybercriminalité et pris en otage le 19 février par ses ravisseurs, a été libéré par la gendarmerie togolaise après 48 heures de détention dans une banlieue de Lomé. Deux Béninois, en fuite, faisaient partie des malfaiteurs.

Mais il faut remarquer aussi que les élèves et étudiants vont beaucoup plus sur Internet  pour faire des recherches sur les cours qu’ils reçoivent à l’école, au collège ou à l’université. Il n’y a pas de bibliothèques et il y a énormément de choses qu’il faut acquérir par soi-même. Donc, les élèves ou étudiants sont plus présents dans les cybers café que dans leurs maisons ou dans leurs salles d’études. Bien évidemment cette présence, n’est que le prolongement de l’école. Tous les élèves qui vont aux cybers ne sont pas forcément des escrocs. Mais, en allant aux cybers, ils sont plus exposés à l’arnaque en ligne. Et c’est là qu’ils découvrent ceux qui font le plus l’arnaque en ligne, c’est-à-dire des adultes. Il y a une proximité de fait, que les élèves et autres subissent. Naturellement, j’imagine qu’il y a un apprentissage en douce qui se fait dans ce contexte. Il y a une prédisposition du contexte  à la chose.

Mais, ce n’est pas seulement ceux qui escroquent qui sont en faute, mais aussi il y a des gens qui sont vulnérables, c´est-à-dire les victimes. Et d’une certaine manière, c’est à cause d’eux que le phénomène prospère.

Et qu’en est-il alors de ces victimes ?

Tout le monde sait que ce sont principalement des Occidentaux qui sont les victimes de ces arnaqueurs. Ces gens pensent dans leurs représentations de l’Afrique ou de l’Africain que ce qui est possible en Occident l’est déjà en Afrique. De façon très idéale, ils pensent que comme le e-commerce est entré dans les mœurs là-bas, cela devrait être pareil ici aussi. Mais là c’est une vue assez angélique des choses : ils croient à tout ce qui leur est proposé. Le contexte dans lequel le client ou la victime se trouve le rend vulnérable.

Mais il est aussi dans une hypothèse pessimiste : sa représentation est qu’en Afrique, il y a suffisamment de corruption et donc beaucoup d’opportunités d’affaires et qu’on peut acquérir, par exemple, des propriétés ici. Ils sont plus disposés à croire quelqu’un et à des histoires montées de toutes pièces. Par exemple, un arnaqueur qui affirme que son défunt père possédait des palais et qu’il souhaite les vendre. Il demande donc une certaine somme d’argent pour faire certaines démarches administratives. Et dès qu’il en aura fini avec ces démarches, il vendra le soi-disant palais en question. Cette représentation de l’Afrique est telle que les gens sont portés à croire ce qui n’est pas possible sous leurs propres cieux.

Par exemple, que quelqu’un veuille vendre le Stade de l’Amitié (ndlr : le plus grand stade du Bénin géré par une entreprise publique) en présentant cela comme un patrimoine personnel. Les victimes de ces arnaqueurs sont plus tentés de les croire, parce qu’ils se disent que dans une zone comme l’Afrique ou le Bénin, des individus peuvent avoir des propriétés immenses de ce genre. Ce qui du reste, entre parenthèses, peut être vrai ! alors que cela ne court pas les rues en Occident. Vous ne pouvez pas être propriétaire d’un immeuble du standing d’une Habitation à loyer modéré (Hlm) ou autre, si franchement vous n’êtes pas héritier. Et même là, c’est beaucoup plus compliqué en Europe. Mais sous le bénéfice qu’il y a tellement de désordre et de prévarication en Afrique, ils sont donc  plus disposés à croire le discours que tient l’escroc. Sachant que tout ceci s’accompagne de façon endogène d’une certaine préparation. C´est-à-dire que les arnaqueurs prennent des dispositions occultes pour mieux conditionner leurs futures victimes…

NOTE : UnderNews a déjà proposer un article complet décrivant les étapes d’une arnaque via le Bénin.

 

Source : Ouvertures