Semi-conducteurs : relocaliser la production pour résister aux pénuries

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Le marché des semi-conducteurs a connu, ces dernières années, un essor sans précédent. Cette technologie, nécessaire au fonctionnement de nombreux appareils numériques, est désormais indispensable à notre monde hyperconnecté. Toutefois, les inadéquations entre l’offre et la demande, courantes en temps de crise, peuvent avoir des conséquences néfastes sur plusieurs secteurs dépendants des semi-conducteurs, notamment l’informatique et l’industrie automobile.

Pour John Durcan, Directeur technique chez IDA Ireland, les entreprises du secteur des semi-conducteurs se concentreront en 2023 sur la relocalisation de leur production en Europe, afin de renforcer la compétitivité du territoire et de répondre à la demande croissante en la matière :

« Alors que la pénurie de semi-conducteurs perdure, de nombreuses entreprises du secteur chercheront à accroître leur production au sein de l’Union européenne (UE). Un exemple notable est celui d’Intel, qui investira environ 80 milliards d’euros au cours de la prochaine décennie dans la valorisation des semi-conducteurs – de la recherche et du développement aux technologies d’emballage de pointe, en passant par la fabrication. L’entreprise étendra aussi ses installations à Leixlip, en Irlande, pour y intégrer de nouvelles technologies de traitement et des services de fonderie élargis, ce qui porte son investissement total à plus de 30 milliards d’euros. Elle prévoit également d’investir en Allemagne, en France et en Pologne.

Cette stratégie permettra aux fabricants de réduire les coûts en termes d’exportation, mais aussi de rassurer les fournisseurs qui utilisent ces puces. L’Union européenne est en effet de plus en plus dépendante des importations chinoises, ce qui pose des défis en cas de difficultés d’approvisionnement ou de tensions géopolitiques. Pour y faire face, elle ambitionne de réaliser 20 % de la production mondiale de semi-conducteurs d’ici à 2030. Une enveloppe de 43 milliards d’euros a ainsi été débloquée pour soutenir l’implantation de fonderies sur le territoire. Selon le rapport World Fab Forecast de l’association SEMI, la construction de 17 usines sera prévue au sein de la région Europe Moyen-Orient Afrique (EMEA) d’ici à 2024. En complément de ces projets, quelques problématiques et innovations clés seront aussi à prendre en compte, et permettront de garantir la souveraineté numérique de l’Union européenne.

  • La nécessité d’un environnement collaboratif – La collaboration et les partenariats entre le gouvernement, les organismes de recherche et les leaders industriels sont essentiels pour favoriser la croissance du secteur des semi-conducteurs. De même que la coopération entre les petites et moyennes entreprises, nombreuses dans le marché de l’UE, et les grandes entreprises de fabrication profitera à terme à toutes les parties concernées.
  • Attirer et encourager les talents – Parallèlement à ces nouveaux projets, l’UE devra se doter d’une main-d’œuvre qualifiée pour faire fonctionner les installations de semi-conducteurs et renforcer l’innovation dans le secteur. Des cours de technologie et des programmes de recyclage ont été proposés en Irlande, par exemple, pour donner aux employés les compétences nécessaires aux emplois dans l’électronique. Ces initiatives ont incité des entreprises étrangères, comme Qualcom, à étendre leurs activités dans le pays. L’entreprise a créé un centre de R&D de 78 millions d’euros pour la recherche sur les ASIC (Architecture, systèmes, infrastructure et électronique), qui accueille des centaines d’ingénieurs en microélectronique. Les principaux instituts gouvernementaux irlandais, comme l’IPIC et l’institut national Tyndall, cherchent également à attirer et à former une nouvelle génération de talents dans le secteur des semi-conducteurs.
  • La durabilité, un moteur important – Les entreprises spécialisées dans le secteur des semi-conducteurs chercheront à réduire l’empreinte carbone des systèmes informatiques, ce qui va dans le sens des priorités de l’Union européenne en matière de transition écologique. Selon des chercheurs de Harvard, l’impact environnemental de la fabrication des semi-conducteurs reste élevé en termes de consommation d’énergie et d’eau, mais également en ce qui concerne la production de déchets. Les organisations se tourneront ainsi vers des pratiques moins polluantes, telles que les énergies renouvelables, afin de réduire leurs émissions et de respecter les objectifs du « Pacte vert » préétablis par l’Union européenne. Cet ensemble de mesures vise à engager l’UE sur la voie de la neutralité carbone d’ici à 2050.
  • L’adoption de l’Intelligence Artificielle (IA) – L’intégration de l’IA marquera aussi le secteur. En effet pour produire des semi-conducteurs de pointe, les fabricants exploreront les meilleures façons de mettre au point des puces adaptées aux modèles d’IA, qui permettent de traiter de grandes quantités de données et de renforcer la performance des outils déployés. Cette association sera notamment bénéfique pour l’industrie automobile, dans laquelle les voitures connectées prennent de plus en plus d’ampleur.
  • La superposition de “chiplets” – Pour renforcer leur compétitivité sur le marché, les entreprises auront tout intérêt à interconnecter plusieurs petites puces, aussi appelées “chiplets”. Ces technologies – capables, de surcroît, de réduire considérablement les coûts de fabrication – augmenteront les performances des processeurs et permettront d’ajouter différentes couches de fonctionnalités. En France, le CNRS a construit son propre centre de R&D pour étudier les nouveaux composants électroniques et contribuer à l’innovation des puces dans l’industrie des semi-conducteurs.
  • L’intégration de la 5G et de la 6G – La capacité à connecter un grand nombre d’appareils reliés aux réseaux 5G et 6G sera un enjeu important pour les fabricants en 2023. A mesure que le monde se digitalise, que ce soit à l’échelle de l’entreprise ou de la ville intelligente, la production de semi-conducteurs 5G et 6G s’accroîtra pour assurer l’hyperconnectivité des réseaux. En d’autres termes, elle permettra un niveau supérieur d’échange, de mémoire et de stockage des données entre les appareils. Cette avancée pourra, par la suite, générer de nouvelles exigences et renforcer la fiabilité de l’environnement numérique global.

Alors que l’UE se lance le défi d’assurer, à terme, 40 % de la production de semi-conducteurs mondiale, il est nécessaire que des mesures soient instaurées pour favoriser l’implémentation locale d’usines de fabrication en 2023. C’est seulement ainsi que le territoire pourra intensifier les innovations dans le secteur et, par extension, renforcer sa compétitivité au niveau international. »

Tribune par John Durcan, Responsable technique chez IDA Ireland